Libération, 17 décembre 2008
France : Comment la majorité veut museler le parlement
par Jean-Jacques URVOAS
Le gouvernement et l’UMP sont tellement agacés que la gauche s’oppose à l’Assemblée, en ralentissant l’adoption de leurs projets, qu’ils viennent de mettre au point un véritable arsenal destiné à museler l’opposition et, au-delà, le parlement dans son essence même.
L’objet porte le doux nom de « projet de loi organique visant à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ». Il a été adopté en conseil des ministres mercredi 10 décembre 2008 et il est programmé pour le 16 janvier dans l’hémicycle, après un passage au canon en commission des lois le 7 janvier 2009 à 09h30. Dans un jargon bien hermétique, trois articles de ce texte prévoient de retirer presque complètement le droit d’amendement aux députés et de limiter leur temps de parole. C’est tout simple, il suffisait d’y penser... Cette note porte sur le droit d’amendement mais en appelle une seconde sur le temps de parole. L’article 11 prévoit qu’après l’expiration des délais, sont « seuls recevables les amendements déposés par le gouvernement ou par la commission saisie au fond ». Cela n’a -a priori- l’air de rien, mais l’application de ces quelques mots est redoutable. Pour le comprendre, il faut intégrer le fait que demain (c’est-à-dire à partir du 1er mars 2009), ne viendront en discussion dans l’hémicycle que les textes adoptés par l’une des huit commissions permanentes de l’Assemblée.
Pour le moment, le premier débat a lieu au sein des commissions. Y participent les députés qui en sont membres, mais aussi tous ceux qui peuvent être intéressés par le sujet. Par contre, seuls les premiers peuvent déposer des amendements. Ces suggestions de modification des textes sont discutées, votées et donc parfois adoptées y compris celles de l’opposition (si, si cela arrive...). Ensuite, le texte vient dans l’hémicycle, et là tous les députés peuvent déposer des amendements. S’en suit alors une discussion article par article, amendement par amendement. C’est un travail minutieux au terme duquel il est rare que le projet de loi ne soit pas enrichi avant d’être voté. Bien entendu, mais c’est la logique de la démocratie, la majorité garde le contrôle du résultat du vote final. Demain, le premier -et en fait seul- débat aura lieu en commission dans les mêmes conditions. Par contre, dans l’hémicycle, les députés ne pourront plus amender le texte adopté par la commission. Et c’est là que réside l’inacceptable. Car, si tout est verrouillé pour les élus, le gouvernement reste par contre totalement libre. S’il a été battu en commission ou s’il n’accepte pas le travail de cette dernière, il pourra, avant le passage dans l’hémicycle, proposer une nouvelle écriture qui contredira le vote de la commission. Il pourra même déposer des amendements vidant de leur sens les enrichissements acceptés par les députés. Tout cela devant des parlementaires impuissants, puisqu’il leur sera interdit de contre-attaquer en déposant de nouveaux amendements !
Un gouvernement tout-puissant n’acceptant aucune entrave, une majorité réduite au rang de faire-valoir et une opposition muselée, voilà concrètement la revalorisation du parlement façon Sarkozy. Mais que l’on me comprenne bien, défendre le droit d’amendement comme je le fais ici n’est pas un combat d’un parlementaire pour les parlementaires. Derrière ce projet, c’est la possibilité pour les associations, pour les syndicats et pour les milliers d’acteurs de la vie civile de faire entendre leurs points de vue qui est attaquée.