la terre n'appartient qu'aux hommes

Le Manifeste - N° 14 - Avril et mai 2005

 

Presse
L’offensive des marchands de canon

Les marchands d’armes et les grands capitalistes s’intéressent beaucoup à la presse et à l’édition. Les Sellières, Lagardères, Dassault et consorts se jettent sur une presse qui rencontre de plus en plus de difficultés. Aucun titre ne les découragent puisque même L’Huma bénéficie de leurs capitaux. Le droit à l’information et au pluralisme risque bien d’en pâtir.

On pourrait croire au remake d’un vieux film que l’on appellerait « le retour des 200 familles » ou, dans un genre plus guerrier : « l’offensive des marchand de canons ». La reprise par les héritiers de Wendel, célèbres fabricants d’armes des guerres de 1870, 1914 et 1940, avec à leur tête le « général » Ernest Antoine Sellière de Laborde, président du Medef, d’une partie des maisons d’édition de Vivendi Publishing sonne à nos oreilles comme un vieil air de clairon. La prise de la Socpresse, premier groupe français de presse, propriétaire du Figaro et de nombreux titres de la presse régionale par un autre général, d’aviation celui-là. Serge Dassault, a quelque chose d’un raid aérien sur l’empire de la famille Hersant, dégâts collatéraux compris.
De son côté, le groupe Lagardère, l’un des leaders européens de l’électronique de défense, pourrait être sollicité pour placer sous son parapluie financier le journal Le Monde en proie à de graves difficultés financières.

Beaucoup
s’agitent

Les « civils » ne sont certes pas absents. Édouard de Rothschild, président du groupe Galop, tient la corde pour une arrivée au trot dans le capital de Libération. Il devancerait d’une courte tête Vincent Bolloré, roi du papier à cigarette, des caoutchoucs de Padang et des transports maritimes africains. Un affairiste égyptien basé à Londres, Raymond Lakha, vient de prendre les commandes de France Soir. Différents fonds d’investissement s’intéresserait au quotidien des courses, Paris Turf. Beaucoup s’agitent donc, mais manifestement, aucune de ces interventions « civiles » n’a l’ampleur de celles des « militaires.
On pourrait croire donc à une version remasterisée, mais ce n’est pas vraiment cela. Cette offensive des grands groupes capitalistes dans les secteurs de l’édition et de l’information se déroule dans un tout autre contexte et a une toute autre portée.
Paradoxalement, elle intervient alors que la presse quotidienne n’est plus, comme elle pouvait le prétendre avant guerre, le principal vecteur de l’information. Elle est largement devancée par la télévision et la radio. À 20 ans, 20 % de la génération « Internet » lit un quotidien. Ils étaient 40 % pour la génération « mai 68 », 60 % pour celle de la Libération. Les news et les magazines souffrent également de cette désaffection. Parallèlement, la part des dépenses des ménages consacrées au livre recule depuis 30 ans.
Comment l’expliquer dès lors ? L’intérêt des dirigeants des grands groupes tient au rôle que continue de jouer la presse et l’édition dans le débat d’idées en France. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, on constate que le grand patronat ne se satisfait plus en ce domaine d’occuper les fauteuils d’orchestre, de participer passivement à des tours de table, il veut être dans la fosse, tenir la baguette et diriger lui-même la musique. Cela semble être la fin d’un certain modèle de presse construit autour de journaux de journalistes, à l’image du Monde et de Libération. L’affirmation par Serge Dassault de son droit de propriétaire sur l’information donnée est assez significative.

La droite
accompagne
le mouvement

Comment cela est-il possible ? Si les fabricants d’armes peuvent jouer un rôle aussi important dans la curée, cela tient à leur puissance de feu financière, largement alimentée par des fonds publics. Encore fallait-il que les journaux soient à prendre. La mise en coupe de la presse française est rendue possible par son état d’épuisement. Tous les quotidiens ne sont pas dans les affres financières de L’Humanité mais la plupart ne parviennent plus à dégager de ressources suffisantes pour poursuivre leurs activités. Baisse du lectorat, hausse des coûts : peu de titres résistent.
La droite ne se contente pas de laisser faire, elle accompagne le mouvement de prise en main. C’est ainsi que sur les 77,5 millions d’euros d’aides publiques directes à la presse prévues dans le budget 2005, 48 millions d’euros, 62 % sont destinés à favoriser la restructuration de la fabrication et la diffusion des quotidiens, à réduire les effectifs.
Le droit à l’information et au pluralisme est ainsi lié à d’autres questions centrales dans nos sociétés. Celle de la capacité du peuple salarié, dans sa diversité, à faire entendre sa différence, y compris dans le domaine de l’information et de la culture. Celle de la responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de cette liberté d’informer et de communiquer. Celle du sens de l’intervention de l’État comme garant d’une maîtrise démocratique de celle-ci.

Claude Abadie